L'homme qui observe

L'homme qui observe

Dans le roman L’Homme qui parle de Vargas Llosa, les tribus de l’Amazonie péruvienne attendent l’homme qui parle. Il peut arriver à n’importe quel moment. L’homme qui parle va d’une tribu à l’autre, regarde et apprend ce qui se passe ici et là et quand il arrive dans un village, tous interrompent leurs activités pour l’écouter. L’homme qui parle raconte l’accouchement qui a eu lieu trois vallées plus loin, l’inondation subie dans un autre village ou un décès pleuré. Dans son récit se mélangent les divinités, l’origine des choses et la réalité quotidienne. À la tradition qu’il rend vivante il unit les affaires quotidiennes. C’est ainsi qu’il met en rapport l’origine du monde avec le nouveau né. Quand le récit touche à sa fin, l’homme qui parle écoute les uns et les autres, puis il disparaît dans la forêt emportant avec lui les nouveaux événements qui vont nourrir ses futures histoires. Il ne disparaît pas pour monter au sommet d’une colline, contempler la lune ou demander aux étoiles que raconter à la prochaine tribu. L’homme qui parle connaît les sentiers qui unissent les vallées, il connaît les endroits les plus retirés, où habitent ces peuples, il connaît ces gens et, tout comme ces gens, il connaît la lune et les étoiles et sait déchiffrer dans le vent et le vol des oiseaux les futurs orages. Ce n’est pas parce qu’il est l’homme qui parle qu’il a plus de bouches que les autres. Il a deux oreilles, deux yeux, deux mains, un nez et, comme tous les autres, une seule bouche. Pour cette proportion de sept à un, chaque mot qu’il dira aura été nourri sept fois en touchant, en regardant, en sentant et en écoutant son entourage.


Il serait plus juste de nommer l’homme qui parle, l’homme qui observe.


Les comédiens, conteurs, danseurs, metteurs en scène devraient être cet homme qui observe et parce qu’ils observent, ils parlent.