C'est arrivé à Liège

C'est arrivé à Liège

À la sortie du théâtre j’ai rencontré C., une amie comédienne, accompagnée elle même, par une jeune comédienne. Pour rentrer, C. m’a proposé de me conduire jusque Bruxelles en voiture, mais avant elle voulait nous inviter à prendre un verre. Nous nous sommes arrêtés tous les trois dans un café et nous avons accompagné nos bières d’une de ces conversations de « comment vas-tu ? » et « qu’est-ce que tu as pensé de la pièce ? », etc.


Par une de ces portes que les conversations banales ouvrent parfois, j’en suis venu à découvrir que C. connaissait les chansons de Lluis Llach. À partir de ce moment, la conversation fut remplie de couleur et C. et moi sommes allés de chanson en chanson, les chantonnant tout bas dans le bistro. La jeune comédienne, transportée par notre enthousiasme, fut le témoin silencieux de notre fête. Les chansons nous amenaient à une autre époque, des années qui défilaient devant nos yeux : la révolution des oeillets, les manifestation contre la dictature franquiste, C. me parla d’un réfugié politique qu’elle avait accueilli en Belgique, je parlais du Nicaragua, elle me parla de Salvador Puig Antic, moi du procès de Burgos, et dans notre emportement nous avons sauté de l’autre côté de l’océan et ce fut le tour d’Allende, de la dictature en Argentine, de Julio Cortázar, de l’impérialisme, du Che, de Fidel Castro…


La jeune actrice, contente d’enfin trouver un nom qui lui disait quelque chose, dit alors:


« Fidel Castro est un narcotrafiquant : n’est-ce pas ? »


Et nous sommes atterris au XXIème siècle, dans un bistro de Liège où C., très élégamment, donnait un cours sur Fidel Castro à une jeune comédienne.


Il commençait à pleuvoir et nous avons couru jusqu’à la voiture.


Je ne sais pas mon amie C., je ne le lui ai jamais demandé, mais je me suis senti si triste et si jeune.